La Siembra visite les producteurs de la République dominicaine
Par Josiane Paquet
À La Siembra, nous croyons que la meilleure façon d’apprendre lorsque nous rendons visite aux producteurs est de sentir, d’observer, de participer, de toucher, de gouter et, le plus important, d’écouter.
Cet apprentissage survient à table, lors des conversations qui suivent une longue journée de travail. Il se manifeste aussi par la fatigue musculaire que le dos éprouve lorsqu’on tente d’atteindre avec un long bâton mince une cabosse de cacao perchée dans un arbre. Il se vit par l’émotion qu’on ressent lorsqu’on se fait raconter comment un ouragan dans les années mille-neuf-cent-quatre-vingt quelque chose a presque anéanti les habitations du voisinage et détruit les récoltes. Lorsque nous visitons nos producteurs, notre objectif est d’apprendre en nous immisçant dans leur quotidien.
En avril dernier, quatre membres-travailleurs de La Siembra se sont rendus dans la région de San Cristobal, au sud-ouest de la République dominicaine. C’est une zone très luxuriante avec un sol fertile propice à la culture du cacao, des fruits savoureux et des fleurs magnifiques. La pauvreté est bien présente et la sécurité demeure une préoccupation permanente, tant pour la population locale que pour les visiteurs, mais nos hôtes ont su nous réserver un accueil chaleureux et convivial. Ma collègue Isabel et moi-même avons été reçues à bras ouverts par Efrain et Dominica, chez qui nous avons habité pendant 3 jours et 2 nuits.
Efrain, un septuagénaire, a le physique d’un homme de 40 ans qui s’entraine à tous les jours. Ses cheveux argentés contrastent avec son teint foncé, et son sourire est franc et sympathique. C’est une personne travaillante et naturellement active dans son milieu. Son sens inné pour les affaires l’a mené loin, malgré sa faible scolarité. Ayant déjà été président du conseil d’administration de FUNDOPO (Fundación Dominicana de Productores Organicos), une coopérative qui regroupe environ 1800 producteurs paysans, il coordonne actuellement le secteur de Loma Verde et ses quelque 26 producteurs.
Efrain, dont le diminutif est « Frao » (son vrai nom est Frederico — oui c’est un peu difficile à suivre!), a hérité de la terre de son père. Avant, les fermiers produisaient du cacao sans vraiment connaitre sa valeur. Puisque ce produit ne peut réellement être cuit ni consommé comme fruit ou légume, ces derniers le vendaient aux intéressés à faible cout. Efrain a toujours eu l’esprit de collaboration, et c’est ainsi qu’il s’est d’abord associé avec deux de ses voisins. Il achetait leur cacao, puis vendait les récoltes aux acheteurs.
Frao cultive sa terre avec l’aide de sa femme, de ses enfants adultes et, parfois, de ses petits-enfants après leur journée de classe. Malheureusement, ils ne sont pas tous inscrits à l’école, à la grande déception de Frao. Il a la profonde conviction que le dur labeur finit toujours par payer. Ce principe est le fondement même de sa vie, et c’est ce qu’il enseigne aux siens. Il croit aussi que la famille symbolise l’avenir, et que celui qui n’en a pas n’a rien. « Lorsque les parents vieillissent, ce sont les enfants qui travaillent la terre pour continuer de générer des revenus et prendre soin des leurs. » Les personnes âgées ne peuvent compter sur le gouvernement dominicain pour obtenir une prestation de retraite et du soutien.
Frao est un homme déterminé. N’ayant pas plus d’une 4e année, il a choisi de retourner à l’école à 50 ans, puis d’entreprendre des études collégiales en commerce. Malgré les obstacles et les embuches, il a réussi à terminer sa 7e année. Il étudiait par l’entremise de la radio, mais le programme a pris fin au bout de 3 ans. Il est donc parvenu à la conclusion qu’il s’était rendu loin, mais que l’éducation n’était pas le seul facteur assurant son succès. C’est son sens des affaires de même que ses relations et la confiance de ses voisins et de sa communauté qui l’avaient amené jusqu’ici, et il savait qu’il pouvait aller encore plus loin.
Dominica, que tout le monde appelle « Negra », est une femme vivante qui parle fort et qui a des millions d’histoires à raconter. Ses expressions faciales ainsi que ses gestes et ses intonations théâtrales ont capté toute notre attention lors de ses récits. Parfois, nous ne comprenions pas un mot, mais nous étions malgré tout captivées par ses anecdotes (même lorsqu’il était question de sa vieille machine à laver, qui fonctionne mieux que toutes les nouvelles machines du village!). Elle porte des foulards colorés sur sa tête et chante souvent ses mots lorsqu’elle parle. Negra a aussi un bon sens de l’humour, et elle sait exactement où elle va. Ne lui demandez pas d’interrompre sa corvée pour prendre une photo. Vous devrez attendre qu’elle ait terminé! Negra et Frao sont partenaires en affaires. C’est Negra qui prend des notes lorsque les producteurs viennent porter leurs récoltes. Ensemble, ils sont à la tête d’une grande famille qui vit, en grande majorité, tout autour d’eux.
Leur maison est un véritable carrefour. Il y a un flux constant de visiteurs, notamment en soirée, qu’il s’agisse des producteurs venant livrer leurs récoltes, ou alors leurs fils, filles, nièces, petits-enfants ou arrières-petits-enfants qui viennent les saluer. Ce qu’Efrain aime plus que tout, c’est de voir tous ces gens. Ce tourbillon d’activité incessant est agrémenté par la douce présence d’Ifraimy, 11 ans, et de Darien, 3 ans, qui sont respectivement leur petite-fille et leur arrière-petit-fils. Frao et Negra veillent au bien-être de ces deux enfants comme s’ils étaient les leurs. Frao adore sa famille plus que tout et croit qu’elle est la base d’une belle vie.
Ce que l’on aime de Frao, c’est son rire. Un rire espiègle, caverneux, contagieux et immensément joyeux, qui laisse paraitre le petit enfant qui sommeille en lui. Offrez-lui d’aller danser et de se rafraichir avec quelques boissons; ses yeux s’allument tout de suite et il se met à ricaner. Lui et Negra ont certainement passé de nombreuses nuits dans leur temps à se trémousser sur les pistes rustiques du coin. Frao aime véritablement la vie et affectionne plus que tout le noyau familial, l’amour et le dur labeur.
Lorsque nous nous rendons chez les producteurs, nous voulons apprendre à les connaitre pour mieux comprendre leurs motivations et leurs défis. Ils sont fiers de leur culture agricole et travaillent dur pour s’améliorer sans cesse. Nos visites et l’intérêt que nous leur manifestons les encouragent. Ils n’ont pas besoin de nous pour valider leur façon de faire, car leur qualité de vie et celle de leur famille témoignent déjà de leur réussite. Cependant, le fait de savoir que nous sommes là et que nous comptons sur leur cacao de qualité leur apporte de la motivation et leur donne une tape de plus dans le dos.
Ils sont toujours impressionnés de voir les tablettes de chocolat faites avec leur cacao, même s’ils n’aiment pas toujours leur gout! En tant que Nord-Américains, nous adorons le sucre et ses arômes. Les agriculteurs affirment que le chocolat qu’ils préparent à la maison est le meilleur, bien entendu, car ils sont habitués au gout plus simple et plus pur du cacao.
Alors que notre semaine de visite tirait à sa fin, nous avons tenu une dernière réunion de groupe, et c’est lors de celle-ci que ces extraordinaires producteurs nous ont offert le plus beau présent qui soit. Ils nous ont dit être fiers d’accueillir des visiteurs de différents pays qui viennent leur serrer la main, visiter leurs champs et croquer quelques photographies. Tout le monde s’intéresse au cacao. Or, ces producteurs ont remercié tout spécialement le personnel de La Siembra pour l’intérêt que nous manifestions envers eux personnellement et pour avoir pris le temps de faire leur connaissance. Nous sommes les premiers à demander à séjourner dans leur maison, aider à la récolte et travailler à leurs côtés. Cela les a profondément touchés, et nous aussi d’ailleurs. Nous voulions leur témoigner notre reconnaissance la plus sincère pour nous avoir ouvert les portes de leur foyer, et voilà que ce sont eux qui nous remerciaient. Vous vous en doutez, tout le monde pleurait à chaudes larmes!
À La Siembra, tout notre travail est fait dans l’intérêt des producteurs. Nous voulons augmenter nos ventes afin d’acheter un plus grand volume de leur délicieux cacao pour leur permettre, à eux et à leur famille, d’avoir plus de revenus. Les visites que nous rendons aux producteurs sont essentielles pour tisser des liens personnels. Savoir que nos rencontres les font sentir aussi privilégiés que nous est à la fois motivant et extrêmement gratifiant. C’est une preuve tangible que notre travail porte ses fruits. La seule chose à faire, c’est d’en faire encore plus. Nos visites servent à bien d’autre chose que de simplement serrer des mains et prendre des photos; elles créent des liens durables. Je ne sais pas quand nous les reverrons, mais je sais que je parlerai probablement à Frao la fin de semaine prochaine, lui qui téléphone habituellement pour me saluer!